A l'exception de quelques genres (Posidonia,
Zostera . . ), les "plantes supérieures " ne
colonisent pas les immenses fonds marins, bien qu'elles soient
très répandues dans les eaux douces. Les algues, quant à
elles, sont les remplaçantes des vraies plantes dans les mers
tropicales et froides.
Malheureusement, elles ne sont guère appréciées par les
aquariophiles: en effet, il est difficile de trouver un aquarium
d'eau douce dépourvu de plantes, alors que dans la plupart des
aquariums d'eau de mer on peut seulement observer les algues
filamenteuses qui y poussent spontanément et irrégulièrement.
Cet article a pour but de présenter les algues dites
"ornementales ", bien qu'il s'agisse d'une
définition très limitée: il ne faut pas oublier que les algues
peuvent jouer un rôle non négligeable en ce qui concerne le
contrôle des nitrates dans l'aquarium (la plupart des espèces
étant " nitrophiles ", soit capables
d'assimiler ces substances de l'eau), en outre elles offrent un
abri très apprécié par les poissons et les invertébrés.
L'AQUARIUM
" IDEAL " POUR LES ALGUES
A mon avis, l'aquarium idéal n'existe pas! Nous pourrons
cultiver nos algues ornementales dans n'importe quel aquarium
d'eau de mer tropicale, dédié tant aux poissons qu'aux
invertébrés. Bien entendu, il faut à tout prix éviter une
cohabitation avec les espèces phytophages (poissons:
Acanthuridés, certains Pomacanthidés, etc.; invertébrés:
oursins, certains Gastéropodes et Crustacés, etc.), à moins
que vous ne désiriez cultiver des algues dans le but d'offrir
une source d'alimentation " naturelle " à
vos animaux! A ce propos, je tiens à signaler que les algues
constituent pour beaucoup de poissons et invertébrés une
irremplaçable source d'hydrates de carbone minéraux (par
exemple, le fer, sous forme de traces dans l'eau de mer - 0,01
mg/l - peut être concentré par les algues dans leurs cellules
jusqu'à 1,5 mg/l!) et fibres, ces dernières étant
d'excellentes adjuvantes pour la digestion.
De plus, bien que pauvres en protéines et graisses, les algues
contiennent des pigments qui, assimilés régulièrement par les
poissons, préviennent la décoloration malheureusement très
fréquente chez les poissons d'aquarium.
Les exigences des algues vis-à-vis de la qualité de l'eau
peuvent différer sensiblement. Cependant, le tableau ci-annexe
illustre les valeurs optimales pour un aquarium d'eau de mer:
dans de telles conditions, la plupart des algues se conserveront
très bien dans notre bac.
VALEURS OPTIMALES POUR L'AQUARIUM MARIN
TROPICAL
Température 24-26 C
Densité 1.022-1.024
Oxygène : saturation
Anhydride carbonique 0,2-0,4 mg/l
pH 8,2-8,4
Ammoniaque 0-0,01 mg/l
Nitrites 0-0,05 mg/l
Nitrates 10 mg/l max. (coraux, algues brunes et rouges)
.............50 mg/lmax. (autres invertébrés, algues vertes)
Cuivre 0-0,01 mg/l
Potentiel REDOX 325-375 mv
Il en est de même pour ce qui est de
l'éclairage.
Bien qu'il existe des espèces qui n'aiment guère la lumière
(beaucoup d'algues dites " rouges " et
"brunes "), ainsi que des espèces décidément
héliophiles (telles que la plupart des algues
"vertes "), il convient d'aménager l'aquarium
avec un éclairage puissant, tout en disposant les algues selon
leurs exigences (algues rouges et brunes: dans des grottes ou
cavités, en tout cas pas en-dessous de la lumière directe;
algues vertes: en pleine lumière). A mon avis, le meilleur
éclairage est constitué tant par les lampes aux halogénures
métalliques (type OSRAM HQI TS) que par les tubes fluorescents.
A propos de ces derniers, la composition idéale pour la plupart
des algues, d'après mes observations, est la suivante:
15-25 % OSRAM LUMILUX L 36 W/11 (ou SYLVANIA DX 186 ou PHILIPS
TLD 86)
15-25 % OSRAM LUMILUX L 36 W/21 (ou SYLVANIA CWX 184 ou PHILIPS
TLD 84)
25 % PHILIPS TLD 36 W/18
20 % PHILIPS TL 40 W/03
15 % SYLVANIA GRO-LUX 36 W ou OSRAM FLUORA L 36 W/77
L'utilisation du sulfate de cuivre ou de zinc comme médicaments pour les poissons est à bannir, elle pourrait causer la mort de toutes les algues (les " vertes " en particulier) en quelques heures.
LES ESPECES
RHODOPHYTA
Les "algues rouges " se différencient des autres
algues surtout par l'absence des zoospores (cellules mobiles
flagellées produites par les algues lors de la reproduction
asexuée, pouvant donner origine à de nouveaux individus). La
reproduction sexuée est fréquente. Les cellules sexuelles
masculines sont transportées par les courants marins jusqu'à ce
qu'elles atteignent les gamètes. La reproduction asexuée peut
s'effectuer par division ou par fragmentation des branches. La
coloration rouge foncée de la plupart des espèces est due
principalement aux pigments dominants (phycoérythrine et a /b carotènes), qui
dissimulent les deux chlorophylles (A et B). Peu d'espèces sont
importées des mers tropicales pour le marché aquariophile.
Elles appartiennent à l'ordre des Cryptonemiales (caractérisé
par l'alternance des générations, sexuée et asexuée), famille
Grateloupiaceae, genre Halymenia. Ce sont des algues plates,
laminaires, aux branches disposées alternativement. A peu
dexceptions (H. durvillaei, présentée par LEQUAN &
ARDRE, 1984), ces algues naiment guère la lumière
intense; il faut donc éviter de les placer près de la surface,
leur meilleure localisation étant à labri de la lumière
directe.
Au cas contraire, elles seront facilement envahies par les algues
filamenteuses.
J ai eu de bonnes expériences de culture avec lespèce de
Halymenia illustrée dans cet article, importée de
llndonésie, atteignant une hauteur de 30 cm. Bien que sa
croissance savère très lente, elle survit dans mon
aquarium dinvertébrés depuis deux ans. Dailleurs,
ces algues sont lidéal pour les aquariums
dinvertébrés pour la lenteur de leur croissance,
nempéchant pas le développement des coraux et des autres
espèces sessiles. Les algues du genre Halymenia sont utilisées
tant par la cosmétologie que par lindustrie alimentaire et
bio-chimique (préparation de lagar). Elles sont mangées
régulièrement aux Philippines.
PHAEOPHYTA
Ce sont les " algues brunes ", presque
exclusivement marines. Elles sont caractérisées par la
présence de pigments jaunes (b carotène, néoxanthine, fucoxanthine et autres)
dissimulant les chlorophylles. Les espèces présentent dans le
commerce appartiennent à lordre des Fucales, famille
Fucaceae.
Il sagit dalgues de bonne taille, ramifiées,
adhérant au substrat par leurs organes adhésifs.
Le genre Turbinaria comprend peu despèces pan-tropicales,
aux frondaisons triangulaires absolument incomparables. Ces
algues bizarres et attrayantes colonisent la plateforme
corallienne. Je les ai observées plusieurs fois dans les récifs
de Malaisie et de Bali. Elles ne sont pas rares dans les eaux
basses, ensoleillées, là où la marée porte son influence.
Tant leur axe principal que les frondaisons sont assez rigides,
ce qui permet à ces algues de rester bien droites lors de la
marée basse. Les espèces de Turbinaria sont susceptibles
datteindre la taille de 40 cm. Ces Phaeophycées sont
rarement importées, bien quelles ne soient pas difficiles
à trouver sur les pierres récifales vivantes qui nous
parviennent couramment des tropiques. Très résistantes dans
laquarium.
Les algues brunes les plus fameuses appartiennent probablement au
genre Sargassum (Note de lauteur: daprès quelques
auteurs ce genre ferait partie de la Manille Sargassaceae),
répandu dans toutes les mers tropicales. Ce sont des algues de
grande taille, tant benthiques (fixées au substrat:
appontements, épaves, roches, etc.) que pélagiques
(flottantes). Presque toutes les espèces sont pourvues de
vésicules sphériques permettant la flottaison (espèces
pélagiques) ou la station debout (espèces benthiques).
Les sargasses pélagiques (telles les algues de la Mer des
Sargasses) ne sont pas utilisables en aquariophilie, alors que
les espèces benthiques savèrent très résistantes et
recommandées pour les aquariums dinvertébrés, grâce à
leur prolifération limitée ainsi qu'à leurs faibles besoins en
nitrates et phosphates. La qualité et lintensité de
léclairage nont guère dimportance; un fort
brassage de leau sera très apprécié par les sargasses.
On peut multiplier aisément ces algues par fragmentation du
thalle et des frondaisons.
Pour ce que je sais, les sargasses ne sont importées que très
rarement pour le marché aquariophile elles sont pourtant
trouvées assez fréquemment sur les pierres récifales vivantes,
tant de l'lndoPacifique que des Caraïbes.
CHLOROPHYTA
Bien que 10% seulement colonisent les eaux marines (la plupart
étant inféodées aux eaux douces et aux lieux humides), les
"algues vertes " sont très répandues et
abondantes dans les mers du monde entier, et même dans les
régions tropicales, surtout sur les récifs. Les pigments
principaux contenus dans leurs chromatophores sont les
chlorophylles vertes (A et B), alors que les pigments jaunes et
rouges (carotènes, luteine, néoxanthine, etc.) sont dissimulés
par les verts. La paroi cellulaire est constituée principalement
par la cellulose, elle est souvent infiltrée par du carbonate de
calcium (algues vertes dites "calcaires "). La
multiplication végétative (division, fragmentation, production
de zoospores) et celle sexuelle (production de gamètes) sont
observées chez les algues vertes.
Presque toutes les espèces trouvées dans le commerce font
partie de lordre des Siphonales. Bien quen apparence
ces algues ressemblent considérablement aux plantes supérieures
("feuilles ", "tronc ",
"racines "...), elles sont constituées par une
seule cellule géante indivisée! Lintérieur des
Siphonales est une grande cavité, délimitée par une membrane;
le protoplasme, contenant les noyaux et les chloroplastes, est
adossé le long de là membrane.
Incontestablement, les algues ornementales les plus populaires
chez les aquariophiles sont celles du genre Caulerpa (famille
Caulerpaceae), présentes en Méditerranée (C. proliféra) et
dans toutes les mers tropicales (C. racemosa, C. mexicana, C.
serrulata, C. cupressoides, C. sertularoides, C. taxifolia, C.
nummularia, etc.). Une série très complète d,articles
concernant la biologie et l,écologie de ce genre a déjà été
publiée dans AQUARAMA (NIEL, 1983).
Nous sommes en présence dalgues très polymorphes et
adaptées aux milieux les plus divers. On peut trouver la même
espèce sur les fonds vaseux, sablonneux et même rocheux!
Peu despèces (telle C. cupressoides) sont presque
exclusivement issues des fonds vaseux, alors que plusieurs autres
(C. racemosa, C. texifolia, C. serrulata, etc.) poussent
essentiellement sur le sable corallien, les roches et les fonds
durs.
Contrairement à ce que lon croit, les Caulerpes ne sont
pas rares en zone corallienne (surtout les espèces C. racemosa,
C. serrulata et C. sertularoides); cependant, il s'agit d'algues
antagonistes vis-à-vis de la plupart des Anthozoaires
(Madréporaires, Alcyonnaires, Zoanthidés) et même des
éponges.
Dans laquarium, la concurrence algues/ invertébrés risque
de devenir dramatique: les algues absorbent de leau
plusieurs oligo-éléments nécessaires aux invertébrés, de
plus, elles nécessitent une concentration de nitrates (20-30
mg/l minimale) dangereuse pour les coraux les plus exigeants.
Et ce nest pas tout! Il semble que les Caulerpes puissent
relâcher dans leau des toxines au but d'inhiber le
développement des autres organismes benthiques sur les substrats
colonisés. Daprès mes observations, les Caulerpes peuvent
être cultivées sans problèmes en compagnie des Actiniaires,
Cerianthaires, Corallimorphaires, Polychètes, Crevettes et
Echinodermes (à lexception des Oursins végétariens).
Elles demandent une luminosité normale à intense et un fort
brassage de leau pour optimiser les échanges en gaz et
oligoéIéments. Dans de telles conditions, la multiplication
végétative des Caulerpes (par pousses des stolons et production
de nouveaux axes) est très rapide, parfois étonnante. Elle peut
être facilitée par laquariophile tout simplement en
sectionnant des morceaux de stolons à laide dune
lame.
La reproduction sexuelle a lieu dans la nature surtout lors des
moussons, souvent après les typhons ou les fortes pluies. Il
semble que dans laquarium ce type de multiplication puisse
être stimulé par une dégradation du milieu ambiant ou aussi
par une réduction prolongée de la lumière. Après
léjection des gamètes, le thalle reste vide, il devient
blanc et se désagrège rapidement. Malheureusement, la
reproduction sexuelle peut amener à une disparition presque
complète des Caulerpes de l'aquarium, car la plupart des
gamètes sont absorbés dans le filtre et ceux restants, ne
trouvent que difficilement les conditions idéales pour leur
développement en aquarium.
Les nombreuses espèces de la famille Codiaceae sont largement
répandues dans les mers tropicales et froides. Le genre Halimeda
renferme des algues très particulières, toujours benthiques,
fixées au substrat par des rhizoïdes incolores tout à fait
semblables à de " vraies " racines. Le
thalle est constitué par des segmente plats, arrondis, dont
l'ensemble rappelle un cactus. I1 s'agit d'algues typiquement
calcaires, colonisant les fonds durs et les récifs coralliens.
Dans la Méditerranée on trouve fréquemment l'espèce H. tuna
à quelques mètres de profondeur. Sous les tropiques, notamment
à Bali et Singapour, j'ai observé plusieurs fois l'espèce
tropicale la plus diffusée (H. opuntia) dans la zone de marée.
Elle peut résister en-dehors de l'eau plusieurs heures, bien
qu'on puisse la trouver jusqu'à 30-40 m de profondeur. Chaque
segment de H. opuntia mesure 12-20 mm, rarement l'algue dépasse
20 cm en hauteur. Normalement, cette algue est recouverte par un
grand nombre d'organismes épiphytes (Aufwuchs). La plupart des
exemplaires nous parviennent occasionnellement sur les pierres
vivantes ou pièces d'invertébrés sessiles (Madrépores,
Zoanthidés, Alcyionnaires), cependant on les importe
spécialement de temps en temps. Leur thalle se décolore
fortement en l'absence de lumière, c'est pourquoi les
exemplaires qui viennent d'être importés ont généralement une
coloration blanchâtre, qui changera rapidement au vert sous un
bon éclairage. Il n'y aucun problème de cohabitation avec les
invertébrés.
Les algues-éventails du genre Avrainvillea sont susceptibles
d'atteindre 30 cm de hauteur. Le thalle se développe sur un
" sabot " calcaire enfoncé dans le sable.
Les algues-éventails colonisent les récifs et les fonds
sablonneux des lagons. On ne les trouve que très rarement en
zone de marée, elles sont plus fréquentes en-dessous de 10 m de
profondeur (jusqu'à 50 m).
Elles demandent un fort brassage de l'eau et un éclairage assez
faible (les tubes bleus s'avèrent indispensables) vis-à-vis des
autres algues.
Je voudrais présenter une algue bizarre que j'ai importée
récemment des Caraïbes. Il s'agit de l'algue-blaireau,
Penicillus capitatus, une petite algue ne dépassent guère 15 cm
en hauteur. Aussi bien que Avrainvillea, elle est pourvue d'un
sabot calcaire ovale, enfoncé dans les fonds sablonneux
colonisés par cette algue. On peut la trouver jusqu'à 40 m de
profondeur.
A mon avis, cette espèce est très recommandée pour tous les
aquariums, à condition que l'on dispose d'un fond de sable
corallien assez épais (5 cm minimum). Dans mon aquarium
d'invertébrés, sous un éclairage à base de tubes fluorescents
(voir composition en début d'article), j'ai observé une
croissance des frondaisons de quelques 5 mm par mois. P.
capitatus est un hôte idéal pour tout aquarium d'invertébrés,
s'agissant d'une algue très peu sélective vis-à-vis des
phosphates et nitrates, en outre sa prolifération est en
parfaite harmonie avec les exigences de développement des
espèces sessiles. La meilleure solution consiste à cultiver
cette algue par groupes, dans les espaces antérieurs libres de
sable corallien qui sont surplombés par les roches et les
coraux: un groupe d'algues-blaireau forme une
" prairie " fort attrayante!
Finalement, je vais terminer avec le genre
Codium, répandu dans presque toutes les mers y compris en
Méditerannée et dans I'Atlantique européen. Des exemplaires
ramifiés ou en forme de boule nous parviennent de temps en temps
surtout de Singapour.
Ce sont des algues assez coriaces, pouvant s'avérer indigestes
même pour les poissons végétariens. Leur croissance étant
très lente, elles ont pourtant une longue vie en aquarium et
sont tout à fait recommandées pour les bacs d'invertébrés. I1
faut éviter de les placer sous un éclairage intense, car elles
seront facilement envahies par les algues filamenteuses.